Au cours de la campagne des présidentielles, M. Macron a préconisé le partage de la valeur ajoutée, reprenant ainsi un thème que M. Sarkozy avait lui-même mis en avant dans les dernières années de son mandat.
Ce concept est particulièrement intéressant, car il sous-entend que les résultats des entreprises sont autant le fruit du travail que celui du capital. Il pourrait, par exemple, se formaliser, -comme le propose un ancien vice-président du MEDEF, M. Lanxade- à travers un « dividende salarié » qui subordonnerait la distribution de dividendes aux actionnaires au développement de la participation des salariés. A travers lui, c’est la vieille ambition gaulliste de l’ « association capital-travail » qui se trouverait mise à l’honneur.
A ce jour, les suites sont malheureusement fort décevantes. Plutôt que le partage de la valeur ajoutée, M. Macron et ses proches ont préféré exhumer le slogan sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus ». La défense du pouvoir d’achat, qui escamote tout à la fois la question des inégalités de revenus et celle, désormais cruciale, de la sobriété énergétique, ne fait pas davantage progresser le débat.
Pourtant, la question de la place du travail dans l’entreprise est plus actuelle que jamais.
Au capitalisme traditionnel, qui devait sans cesse se justifier face aux contestations et aux revendications des syndicats de salariés, a succédé un capitalisme financier, totalement mondialisé, qui ne se préoccupe plus que du taux de rentabilité du capital investi ou placé dans les sociétés qu’il contrôle. Le scénario auquel sont soumises des entreprises de toutes dimensions, rachetées puis revendues au plus offrant par des groupes financiers ou par des fonds de pension, est devenu courant. Les salariés ne sont plus que les témoins impuissants des surenchères qui se développent au-dessus de leur tête. Le LMBO -leverage management buy out-, initialement présenté comme un outil, le RES, permettant le rachat de l’entreprise par ses salariés ou par ses cadres, est souvent devenu un simple instrument de prise de contrôle des sociétés, sans que les salariés y soient associés. Des pratiques telles que les rachats d’actions détournent les résultats de l’entreprise pour y renforcer encore davantage le poids des actionnaires en place.
Comment ne pas voir que ces agissements conduisent les salariés à un profond découragement -dont la « grande démission » n’est que l’un des symptômes- et alimentent la montée des extrémismes et des populismes ?
Cette évolution est d’autant plus paradoxale que l’apport du facteur travail n’a jamais été aussi fort dans le développement de l’économie. Qu’il s’agisse de recherche, de conception et de qualité des produits, de prospection des marchés, d’image ou de communication, la part prise par le travail n’a jamais été aussi forte dans la valeur ajoutée de la plupart des entreprises. Les créateurs de start up en sont plus conscients que tous autres puisqu’ils privilégient souvent les formules d’association et de participation dans leur phase de démarrage -jusqu’à ce que l’essor de la société les fasse retomber dans les pratiques du capitalisme traditionnel ou, pire encore, du capitalisme financier.
De façon générale, l’externalisation des tâches et le télétravail -systématisé avec l’épidémie de COVID- conduisent malheureusement, malgré les pénuries de main d’œuvre, non pas à une meilleure reconnaissance du travail, mais à son ubérisation accélérée.
La responsabilité sociétale des entreprises, affirmée par la loi PACTE de 1969, a certes permis, en ce qui concerne les salariés, une meilleure prise en considération d’objectifs tels que l’égalité homme-femme ou la diversité. Mais quand elles ne sont pas d’abord dictées par un souci de communication, ces avancées ont porté sur l’éthique du management beaucoup plus que sur la structure du pouvoir au sein de l’entreprise.
Il y a presque soixante ans, François Bloch-Lainé présentait un rapport retentissant sur la réforme de l’entreprise. Malgré les efforts des gaullistes de gauche, René Capitant et Louis Vallon, malgré le rapport Sudreau de 1975, malgré quelques avancées législatives, nos formules d’association des salariés à la gestion et à la direction des entreprises restent très en deçà de ce qui se pratique en Allemagne et dans l’Europe du Nord.
Le Président de la République et le gouvernement s’illustreraient en ayant le courage de rouvrir ce dossier et en y associant l’ensemble des parties prenantes : élus, représentants des patrons et des salariés, usagers et consommateurs.
Daniel Garrigue,
Ancien député.