Le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC), instance scientifique constituée dans le cadre des Nations Unies et associant l’ensemble des Etats, est extrêmement alarmant. Il montre en effet que l’objectif fixé par l’accord de Paris de 2015, -limiter d’ici 2100 à 1,5° l’élévation des températures par rapport à l’époque préindustrielle- n’a désormais que peu de chances d’être tenu et que nous risquons très vite de basculer dans l’irréversible, qu’il s’agisse du réchauffement ou de la montée des océans. Les catastrophes naturelles, qui se multiplient, forment le contrepoint involontaire de cet avertissement.
Ce rapport a retenu très momentanément la une de l’information, mais il a été très vite balayé par d’autres événements –notamment la prise de contrôle de l’Afghanistan par les Talibans, face à laquelle nous sommes également les témoins résignés de notre propre passivité. Il a suscité les réactions stéréotypées de dirigeants politiques qui ont renvoyé d’éventuelles initiatives à la conférence sur le changement climatique (COP 26) de Glasgow de novembre prochain.
Ce manque d’émotion et de réaction a certes des causes immédiates : l’approche d’échéances électorales –notamment en Allemagne et en France- où beaucoup redoutent les réactions populistes, l’aspiration de certains responsables « verts » à entrer dans des gouvernements de coalition, la crainte de susciter des représailles, notamment commerciales, si l’on élève la voix sur la scène internationale.
Objectivement défaitistes, ces comportements ne sont pas à la mesure des enjeux.
L’effort indispensable n’est possible que dans la cohésion sociale.
Dans l’ordre intérieur, l’heure n’est plus à des mesures purement sectorielles, mais à l’adoption d’un autre mode de vie. Cet effort qui touche au quotidien est certes difficile : combien de personnes, par exemple, sont-elles prêtes à renoncer à l’usage de l’automobile pour un déplacement de moins d’un kilomètre et à privilégier les transports collectifs pour les déplacements plus lointains ? Combien de nos concitoyens sont-ils prêts à reconsidérer la climatisation de confort de leur bureau ou de leur logement ?
En fait, ce qui manque fondamentalement à notre société, c’est le minimum de cohésion et de consensus qui permettrait de partager ces nouvelles contraintes. Nous sommes tiraillés, dans une société profondément inégalitaire, entre ceux qui veulent profiter sans frein des biens et des loisirs que leur procurent leur réussite et leur enrichissement et ceux qui manifestent leur profond sentiment d’injustice en brandissant –c’est le cas dans le mouvement antivax ou antipass sanitaire- le seul bien qui leur reste, leur liberté personnelle.
Si, demain, nos dirigeants veulent mettre en œuvre les actions fortes dont nous avons besoin, il faut qu’ils prennent en priorité les mesures propres à réduire les inégalités. Elles passent en particulier par la fiscalité, celle des revenus et du patrimoine, -on ne supprime pas impunément un symbole tel que l’ISF- et par l’aménagement du territoire.
Et il faut aussi associer l’ensemble des acteurs. C’est bien d’avoir ressuscité le Haut Commissariat au Plan et de l’avoir confié à François Bayrou. Mais ce serait encore mieux de relancer, sous une forme actualisée, la mécanique des commissions de modernisation pour que l’ensemble des acteurs économiques et sociaux puissent confronter leurs objectifs dans la concertation et dans la transparence. La question du changement climatique y serait la première priorité.
Il faut une démarche plus ambitieuse mais aussi plus dure à l’international.
A l’échelle de l’Europe, on doit certes reconnaître à la Commission le mérite d’avoir assorti les plans de relance d’un minimum d’exigences –trop faibles diront certains- en matière environnementale et d’avoir formulé quelques propositions significatives telles que l’institution d’un « mécanisme d’ajustement carbone » aux frontières pour frapper les importations les plus polluantes, ou encore le renforcement du coût des quotas d’émission de gaz à effet de serre.
Mais il serait aussi important que l’on sache, à l’échelle internationale, montrer plus de dureté à l’égard des Etats qui n’acceptent pas les remises en cause indispensables. Beaucoup de dirigeants dénoncent aujourd’hui le danger que constitue le nucléaire iranien, mais ils feraient bien de considérer également que la progression des émissions de gaz à effet de serre est, à terme, aussi dangereuse pour l’humanité que la production d’armes nucléaires. Un fonds, géré par les Nations-Unies et alimenté par un impôt mondial sur les fortunes –inspiré de l’impôt mondial sur les sociétés initié par le G20 et frappant notamment les paradis fiscaux- pourrait être consacré à un développement non polluant ou faiblement polluant des pays du Sud qui partent de plus loin que nous.
Si nous n’avons pas la volonté de nous engager dans de telles remises en question, si nous jugeons ces transformations trop utopiques ou trop révolutionnaires, autant dire que nous sommes engagés dans un effrayant consensus pour foncer aveuglement jusqu’à la catastrophe.