A un peu plus de quatre mois de l’échéance du 1er tour, le 10 avril prochain, l’élection présidentielle ne suscite pas un intérêt passionné chez nos concitoyens. Les jeux paraissent largement faits et la répétition d’un faux duel Macron-Le Pen est plus que vraisemblable. Cela ne signifie pas pour autant que le vote du premier tour -et le choix que chacun y fera- sera dépourvu de toute portée. Chacun des candidats y est, en effet, porteur de satisfactions, d’attentismes, de ressentiments, de frustrations, mais aussi parfois, d’analyses et d’espoir.
A l’extrême-droite, les outrances et les dérapages de l’ancien journaliste Zemmour ont fini par donner une apparence de respectabilité à Marine Le Pen. On ne saurait pour autant oublier que depuis plusieurs décennies, la bonne dame de Hénin a, comme son père, exploité et diffusé les ferments de haine qui habitent une société française vieillissante et rétrécie.
En six ans, Emmanuel Macron s’est certes amélioré sur quelques points. Le financier a mieux pris en considération les enjeux industriels et technologiques qu’il bradait trop facilement auparavant. Le technocrate a dû affronter l’épreuve du terrain -celle des gilets jaunes et celle des salariés auxquels les promesses de campagne n’ont pas été tenues. Il a compris -au détriment des élus locaux- que, dans notre pays, la force de l’Etat repose largement sur l’inlassable travail de recentralisation du corps préfectoral. Pour autant, il n’a pas su se donner de stature. Sur la scène européenne, ses prises de position, souvent arrogantes et mal préparées, ont souvent agacé nos partenaires plus qu’elles ne les ont convaincus. L’épaisseur d’analyse et la solidité continentale d’Angela Merkel ont généralement permis de revenir à des positions plus consensuelles. C’est là où l’on attendait le plus de lui, c’est-à-dire vis-à-vis des Etats-Unis, que Macron a été le plus décevant. Face aux législations extraterritoriales qui nous ont écartés de l’Iran, face aux révélations de l’affaire Pegasus, face au camouflet des sous-marins australiens, il est souvent resté silencieux ou s’est montré finalement incroyablement conciliant -bon garçon qui serre longuement la main des présidents américains, Trump puis Biden. Face aux GAFAM, il s’est rallié sans peine, et pour solde de tout compte, à la taxation unique prônée par le président américain. Sur les scènes, particulièrement sensibles, de l’Afrique et du Moyen-Orient, ses déclarations à l’emporte-pièce -récemment encore sur l’Algérie- et ses initiatives blessantes pour ses pairs -ainsi le prétendu sommet franco-africain de Montpellier- ont souvent ruiné les efforts de notre diplomatie et parfois aussi ceux qu’il avait lui-même entrepris.
Au moins, aurait-il pu corriger l’absurdité, devenue coutume institutionnelle, du séquençage rapproché élection présidentielle-élection législative. Mais plutôt qu’une présidentielle mesurée, plus tard, à l’aune d’une législative, il préfère l’élection, sur quelques jours, d’un monarque et de sa cour. Sa campagne n’est qu’une longue kyrielle de promesses, sur le mode des marchands de cravates les jours de foire.
Les Républicains (LR) sont dans une situation étrangement paradoxale. Leurs deux meilleurs candidats potentiels -Edouard Philippe et Bruno Le Maire- sont aujourd’hui neutralisés par l’habilité d’Emmanuel Macron à les mettre sous cloche, mais aussi par leurs propres ambitions de carrière gouvernementale. Ce sont donc les « seconds couteaux » du mouvement qui s’affrontent aujourd’hui sur des programmes laminés par le conformisme de droite -hantise des migrants, absence d’ambition sur le changement climatique. Xavier Bertrand, qui a le mérite de refuser le séquençage présidentielle-législative- devrait a priori l’emporter, mais son rôle sera en réalité de rouler pour faire évaluer, malgré lui, l’assise électorale dont pourront se prévaloir demain Philippe et Le Maire pour revendiquer le poste de Premier Ministre.
Le grand drame de la gauche est son absence totale d’unité. On ne construit pas un François Mitterrand en quelques années. Personne ne se révèle, par ailleurs, capable de porter l’héritage gaullo-mitterrandiste ou mitterrando-gaulliste qui serait aujourd’hui si salutaire. Arnaud Montebourg que j’ai un instant soutenu, au lieu de prendre de la hauteur, s’est tout de suite réfugié dans le rituel d’affidés de la fête de la Rose, avant de divaguer plus durement encore que l’extrême-droite sur les transferts d’argent des migrants à leurs familles. Un attelage Cazeneuve-Larcher aurait pu constituer une alternative intéressante. Tous deux sont suffisamment intelligents pour y avoir peut-être pensé, mais un tel assemblage ne peut aboutir que dans des circonstances exceptionnelles qui ne sont pas celles du temps.
En fait, victimes eux aussi du séquençage présidentielle-législative, les partis de gauche ont décidé de jouer la présidentielle en privilégiant les législatives, c’est-à-dire de n’aller à la présidentielle que pour agiter leur drapeau afin de ne pas être oubliés lorsque viendraient les législatives.
Ce choix est dommageable car les trois candidats -Anne Hidalgo pour le PS, Yannick Jadot pour les Verts, Fabien Roussel pour le PC- ont d’incontestables qualités et n’ont entre eux rien de vraiment incompatible. Reste le cas Mélenchon dont le ralliement eût exigé un talent de négociateur que ne peuvent acquérir que les très vieilles bêtes politiques.
Dès lors, à défaut de se porter sur une femme ou sur un homme, le choix devra d’abord se porter sur une idée. Bien plus que les mouvements migratoires, bien plus que le terrorisme, bien plus que les virus et leurs mutants, le défi majeur du monde à venir -qui pèsera d’ailleurs inéluctablement à la fois sur les mouvements migratoires, sur le terrorisme et sur les virus- est celui du changement climatique. Ce qui est en cause, ce sont les conditions de survie et la survie tout court, de l’humanité. Je suis favorable au nucléaire, au moins, dans la phase cruciale de la transition énergétique, mais je sais que le nucléaire ne peut, en aucune façon, constituer la seule réponse appropriée. Je crois dans les immenses possibilités de la recherche, mais je doute fort que les innovations technologiques indispensables -stockage des énergies renouvelables, captation du carbone, fusion nucléaire, maîtrise de l’hydrogène- nous apportent à temps les réponses nécessaires. Que nous le voulions ou non, ce n’est que par une remise en cause profonde de nos manières de vivre, ce n’est que par une solidarité planétaire, notamment avec les pays du Sud, que nous donnerons à nos enfants des chances réelles de survivre et de construire un monde différent.
C’est pour cette raison, et avec l’espoir que beaucoup d’autres voudront affirmer ce message, que je voterai Vert.