Nombre de Français ont tendance à situer le gaullisme sur l‘aile droite de l’échiquier politique. Parce qu’après l’instabilité et l’impuissance de la IVème République, le général de Gaulle a restauré l’autorité dans les institutions et dans la gestion des affaires publiques. Parce que les présidents qui, après son départ, se sont réclamés de lui -Georges Pompidou, Jacques Chirac et, plus encore, Nicolas Sarkozy- se situaient nettement à droite.
Pourtant, ni les engagements du général de Gaulle, ni l’histoire du gaullisme, qui s’est affirmé dès l’origine comme un rassemblement, n’ont jamais vraiment coïncidé avec le conservatisme et avec l’atlantisme de la droite. Ils se sont même inscrits à de nombreuses reprises résolument à gauche.
Issu de la Résistance, le gouvernement que conduisait le général de Gaulle de 1944 à 1946 est celui qui, dans le prolongement des travaux de l’Assemblée d’Alger et du Conseil National de la Résistance, a imposé le plus grand nombre de réformes : droit de vote des femmes, nationalisations, création de la Sécurité Sociale, mise en place des comités d’entreprises, développement de la planification et politique ambitieuse de la recherche, ordonnance relative à l’enfance délinquante, pour ne citer que les principales d’entre elles. Comme l’a écrit René Capitant, ce gouvernement qui réunissait des gaullistes, des démocrates-chrétiens -alors situés beaucoup plus à gauche que les centristes d’aujourd’hui-, des socialistes et des communistes, constituait « un front populaire autrement plus fort que les autres ».
Fait qui n’est jamais souligné, de 1958 à 1969, alors qu’il détenait par moments la plénitude des pouvoirs, le général de Gaulle n’a remis en question aucune de ces réformes. Certes, l’organisation et la gestion de la Sécurité Sociale ont été modifiées par l’ordonnance de 1967, mais les compétences des comités d’entreprise ont été élargies, la planification à la française s’est enrichie d’une large participation de tous les acteurs de la vie économique et sociale, le rôle du secteur public dans les activités de pointe -énergie, armement, espace, informatique- a été plus que jamais affirmé.
Tandis qu’il cherchait une solution pour mettre fin à la guerre d’Algérie, c’est une partie de ses alliés de droite qui s’est retournée contre lui et c’est le soutien des partis de gauche qui lui a, pour partie, permis de mener à terme la politique de décolonisation.
En 1969, outre l’opposition de la gauche et de l’extrême droite, c’est la droite libérale qui l’a trahi -l’appel au « non » de Valéry Giscard d’Estaing- par refus de la réforme du Sénat, mais sans doute plus encore par peur de la réforme de l’entreprise qui s’annonçait après le referendum.
Nombreux sont ceux qui tentent aujourd’hui de se réclamer du gaullisme, y compris l’extrême droite qui s’est historiquement opposée, de la façon souvent la plus violente, au général de Gaulle. Mais parmi toutes ces revendications, c’est bien le nouveau Front populaire qui pourrait aujourd’hui, plus que les autres, invoquer une filiation gaulliste.
Le gaullisme est, en effet, fondé sur trois ambitions.
D’abord, la primauté du suffrage universel qui a été dans une large mesure préservée par les institutions de la Vème République, même si la procédure du referendum, a été, de fait, abandonnée depuis le rejet en 2005 du traité européen et si la dissolution n’a été souvent utilisée que comme une commodité politique -au lendemain d’élections présidentielles- ou comme un outil de manœuvre, ainsi que vient de le faire M. Macron.
Ensuite, l’indépendance -indépendance nationale ou indépendance d’une « Europe européenne » comme le disait le Général. Cette indépendance est fondée sur la dissuasion nucléaire stratégique -qui, même élargie, doit rester impérativement soustraite au contrôle de l’OTAN-, mais aussi sur la mobilisation de nos équipes de recherche et de notre industrie -toutes gravement délaissées depuis les années 2000.
L’indépendance, c’est aussi la défense de notre langue et de notre culture, et en tout cas du pluralisme des langues et des cultures, face à la volonté de domination des puissants vecteurs numériques et cinématographiques anglo-saxons.
L’indépendance, c’est également une politique étrangère ambitieuse refusant la logique des blocs et proclamant pour tous les peuples le droit à l’émancipation et à la libre disposition d’eux-mêmes. C’était le sens de la reconnaissance de la Chine en 1964, du discours de Phnom-Penh en 1966, de l’affirmation des droits des Palestiniens au lendemain de la guerre des Six Jours en 1967.
Enfin, le général de Gaulle a toujours considéré que la France ne pouvait avoir d’ambition que si les Français étaient unis par l’égal accès aux services publics et par un esprit partagé de justice et de solidarité. Il a cherché à renouveler ce véritable projet de société par l’association capital-travail, par la participation, par l’aménagement du territoire et par la régionalisation. C’est cet effort qu’il faut aujourd’hui reprendre, à l’opposé du libéralisme sans frein qui n’a cessé d’agrandir le fossé entre détenteurs d’un capital de plus en plus financiarisé et salariés, de creuser les inégalités entre les citoyens et entre les territoires et de détourner les citoyens des enjeux majeurs par le développement illimité des jeux d’argent.
Démocratie directe, indépendance pour nous-mêmes et pour les nations soumises aux tentatives de domination et d’étranglement des puissances de l’Ouest et de l’Est, solidarité et partage des responsabilités dans tous les lieux de la vie économique et sociale, voilà l’héritage gaulliste dont le nouveau Front populaire pourrait s’inspirer, renouant ainsi avec les immenses espoirs des lendemains de la Libération.
Daniel Garrigue,
Ancien député,
Ancien maire de Bergerac.