Les révélations de dix-sept médias internationaux, dont le journal Le Monde, à partir des enquêtes menées par les associations Forbidden Stories et Amnesty International, sur le cyber-espionnage mené à grande échelle –notamment contre la France- par des Etats généralement peu respectueux des droits de l’homme et du droit des peuples, soulève des questions particulièrement graves.
La capacité de nos systèmes de sûreté et de défense
D’abord, celle de la capacité de nos propres systèmes de sûreté à se défendre contre de telles intentions. Sous l’effet des menaces terroristes et de la pandémie du coronavirus, notre législation sécuritaire s’est fortement étoffée ces dernières années, mais apparemment plus à l’égard des citoyens français que vis-à-vis de l’extérieur. Sur le plan technique, la résilience de nos propres outils de sécurité et de défense exigerait que nous nous soyons donné les moyens d’arrêter de telles offensives. Nous savons que l’une des menaces auxquelles nous sommes, et nous serons, de plus en plus soumis, est celle des guerres ou conflits asymétriques. Les attaques dont nous pouvons faire l’objet s’appuient sur des armes de niveaux technologiques extrêmement divers –de l’attentat-suicide et de la mine artisanale, jusqu’à la cyber-attaque et au logiciel espion, en passant par les drones. Nous devons réévaluer l’ensemble de nos capacités, savoir que nous devons maîtriser les technologies les plus avancées, mais savoir aussi que, dans ce type de guerre, l’engagement des hommes, leur courage et leur détermination à tous les niveaux tiendront une place irremplaçable.
Notons au passage que nous nous sommes beaucoup fiés depuis un certain nombre d’années à l’assistance des Américains et de l’OTAN en matière de renseignement. Dans le cas présent, ces derniers ont été singulièrement et étrangement défaillants.
L’impunité dont profitent certains Etats
Ensuite, la question de l’impunité dont paraissent profiter certains Etats. La communauté internationale s’est donné, par le passé, des règles et des possibilités de sanctions contre les détenteurs ou utilisateurs des armes ABC (Atomique, Biologique, Chimique). Aujourd’hui, aucun traité, aucune convention, aucune règle internationale n’ont été sérieusement édictés contre les fabricants, détenteurs ou utilisateurs d’armes numériques alors que leur potentiel de nuisance et leur risque de dissémination sont plus en plus évidents. Il est plus que préoccupant de voir qu’une société israélienne, NSO, étroitement liée à son gouvernement et à la politique étrangère de ce dernier, encourage le déploiement de cette technologie dans des Etats connus pour violer régulièrement les droits les plus élémentaires de leurs citoyens et de leurs journalistes.
Le silence, ou l’extrême modération, des dirigeants français
Enfin, la question du silence ou de l’extrême modération des dirigeants français, alors que le Président de la République, plusieurs ministres, des hommes politiques et des journalistes ont été les premières victimes de cette offensive. Sans doute y a-t-il une certaine gêne du côté de l’Elysée ou de l’hôtel Matignon, où les protocoles exigeants de sécurité n’ont apparemment pas été respectés. Même dans sa vie quotidienne, un Président de la République n’est pourtant pas un citoyen ordinaire.
Mais il y a plus. Faut-il accepter de considérer que ce genre d’attaque fait désormais partie de notre environnement courant et que le manque de réaction serait le fruit d’un certain fatalisme ? Une telle attitude donnerait raison à celles et ceux qui rejettent tout forme de contrôle ou d’utilisation du numérique comme attentatoires à la liberté individuelle –avec tous les risques que cela comporterait pour notre société, comme le montrent les blocages actuels de nombre de nos compatriotes face à la vaccination et au passe anti-COVID. A une autre échelle, un tel fatalisme serait plus qu’inquiétant pour la Défense nationale et notamment pour notre force de dissuasion -dont la mise en œuvre dépend directement du Président de la République- et dont nous pouvons craindre qu’elle ne soit plus à l’abri de telles intrusions.
Faut-il imaginer que la France use elle-même de ce type de technologies et de méthodes à l’égard de ses adversaires, voire de ses alliés, et que réagir trop vivement à ces révélations pourrait nous exposer à des ripostes désagréables ? Un tel machiavélisme ne serait pas vraiment de nature à nous rassurer et ne nous mettrait d’ailleurs nullement à l’abri.
Ou bien faut-il penser que les liens multiples dans lesquels notre pays est engagé –traités, organisations internationales, système de défense, marchés de vente d’armes ou de matériels sensibles- ne nous permettent plus de nous exprimer et de réagir avec la promptitude et la force nécessaires ? Nous avions déjà pris connaissance de cette faiblesse avec l’affaire Echelon. Aujourd’hui, c’est à l’égard de puissances moyennes que nous témoignons d’une telle pusillanimité. La bienveillance avec laquelle vient d’être reçu le ministre israélien de la Défense, M. Benny Gantz, en est malheureusement le triste témoignage. Cette attitude ne risque-t-elle pas de nous révéler une vérité cruelle, celle que la France ne serait plus indépendante, ni même autonome ?
Il est urgent que leurs dirigeants apportent aux Français les éclaircissements qu’ils attendent, et qu’au-delà, ils se montrent dignes du rang de la France.