POLITIQUE
La presse s’est fait l’écho, ces derniers jours, des réflexions désabusées de nombreux parlementaires qui, y compris au sein de la majorité, s’interrogent de plus en plus sur la portée de leur travail et sur le sens de leur fonction. On ne peut que partager leur sentiment. Encore faut-il rappeler les évolutions qui ont conduit, dans nos institutions, au déclin du Parlement, et particulièrement de l’Assemblée Nationale.
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L’impuissance, puis l’effondrement de la IVème République étaient, rappelons-le, dus à la faiblesse de l’exécutif face à l’Assemblée Nationale, elle-même incapable d’asseoir une majorité puisqu’elle était élue à la proportionnelle.
Les constituants de 1958 ont donc mis en place un système plus équilibré donnant au Président de la République d’importantes prérogatives –recours au referendum, droit de dissolution, article 16- et maintenant la primauté de l’Assemblée Nationale par rapport au Sénat. L’adoption, dans la loi électorale, du scrutin majoritaire, défendu depuis longtemps par René Capitant et demandé par Guy Mollet, comportait, en germe, l’émergence des futures majorités parlementaires.
Elu par un collège restreint, le Président de la République n’avait pas, à l’origine une légitimité comparable à celle de l’Assemblée Nationale. Seule, la personnalité du général de Gaulle donnait alors à l’exécutif la capacité et la volonté de conduire le pays. C’est ce qui conduisit le Général, après l’attentat du Petit Clamart, à faire adopter, par referendum, l’élection du Président de la République au suffrage universel.
Ces nouvelles institutions permettaient, en fait, la consultation régulière des Français, à des dates distinctes –les mandats n’ayant pas la même durée-, soit lors de l’élection du Président, soit à travers l’élection de l’Assemblée Nationale, soit encore à l’occasion des consultations référendaires. Un Président de la République, alors élu pour sept ans, était sûr de devoir affronter une élection législative en cours de mandat. L’Assemblée Nationale courait elle-même le risque d’être dissoute, particulièrement après l’élection d’un nouveau Président.
Les cohabitations -celle de 1986-1988, puis celle de 1997-2001- ont certes, quelque peu terni ce schéma. Elles n’ont pas pour autant empêché la dernière consultation au suffrage universel –en l’occurrence, l’élection législative- de prévaloir sur la précédente, puisque c’est le Premier Ministre qui conduisait alors la politique de la nation, face à un Président qui ne pouvait que tenter de freiner ses initiatives. Elles ont eu le mérite de favoriser, à deux reprises, une approche bipartisane de la politique de défense et des enjeux européens et internationaux.
Le passage au quinquennat –qui suscita, à l’époque, une quasi-unanimité- a engendré des pratiques qui ont profondément bouleversé cet équilibre institutionnel. L’égalité de durée des mandats du Président de la République et de l’Assemblée a en effet très vite conduit à la concomitance des élections et à la pratique de l’inversion du calendrier électoral, l’Assemblée Nationale étant systématiquement élue quelques semaines après le Président. L’élection législative qui pouvait, par le passé, être une sanction de l’Exécutif est ainsi devenue une élection de confirmation de l’élection présidentielle, ou pire, une élection de subordination du législatif à l’exécutif. Avec l’affaiblissement des partis politiques au profit de majorités présidentielles aux contours et aux idéologies plus floues, l’Assemblée Nationale est peu à peu devenue –et singulièrement sous la présidence de M. Macron- une chambre d’enregistrement.
Revenir à l’équilibre des institutions et au débat démocratique
Il n’y a pourtant pas de fatalité. Si l’on remettait en cause la concomitance des mandats en donnant à ces derniers des durées différentes, on réintroduirait dans nos institutions, la possibilité de votes sanctions et on rendrait à l’Assemblée Nationale la place qui devrait être la sienne dans nos institutions. Le Président de la République serait beaucoup plus attentif au travail du Parlement, et d’abord à celui de sa propre majorité –dont il serait beaucoup plus dépendant.
Deux solutions peuvent être envisagées.
- La première est de réduire de cinq à quatre ans la durée du mandat des députés. C’est la solution que j’avais proposée, en tant que député, en décembre 2011[1]. Cette solution ne séduisait guère mes collègues, mais elle avait l’avantage d’être facile à mettre en œuvre. Il suffisait d’une simple loi organique.
- La seconde, qui a été proposée, il y a quelques temps, par Xavier Bertrand, serait de porter la durée du mandat présidentiel de cinq à six ans. Cette solution serait peut-être plus acceptable pour les parlementaires, mais elle exigerait la procédure en peu plus lourde d’une réforme constitutionnelle.
Les deux solutions permettraient cependant tout à la fois de rehausser le rôle de l’Assemblée Nationale et de donner aux électeurs la possibilité de se faire entendre plus fréquemment et de manifester, le cas échéant, plus rapidement leur désaccord avec l’exécutif. Le Président devrait de son côté être beaucoup plus attentif aux messages des parlementaires et aux évolutions de l’opinion.
A défaut d’une telle réforme, l’immense frustration des parlementaires et le sentiment de dépossession des citoyens iront grandissants.
[1] XIIIème Législature – Proposition de loi organique n°3956 tendant à réduire la durée du mandat de l’Assemblée Nationale de 5 à 4 ans.